Pour la dixième fois, Marie Doutrepont organisait les Hivernales de la Danse, un gala de danse unique en son genre devenu un évènement incontournable.
Rencontre avec une passionnée dont le parcours laisse bouche bée.

C’est à Ma Ferme en Ville, son magasin/cantine promouvant de jolis produits de saison, que le rendez-vous est fixé. Vêtue d’un éclatant manteau orange, Marie Doutrepont m’y accueille avec le sourire et commence par me raconter son incroyable parcours. « J’ai commencé la danse pour m’occuper le mercredi après-midi, comme beaucoup de petites filles. J’y ai rapidement apprécié la rigueur, la discipline que cela nécessitait : c’était carré. J’ai eu la chance d’être douée et dotée de certaines qualités intrinsèques qui m’ont donné envie de m’y investir », se souvient-elle. Après un sport-études à l’Académie Grétry où les heures de danse étaient très nombreuses, Marie rejoint le Ballet de Flandre. Elle y dansera pendant plus de deux ans avant de prendre la direction du Ballet du Capitole, à Toulouse et puis de traverser la Manche pour évoluer durant cinq ans au sein du prestigieux Royal Ballet à Londres. « Ce furent cinq années magiques dans une des meilleures compagnies du monde. Les danseurs y sont perfectionnistes mais il y a moins de stéréotypes et davantage de liberté et de richesse dans la diversité qu’à l’Opera de Paris qui est plus cadenassé », se remémore-t-elle. « Et puis, j’adore Londres, la langue anglaise, le flegme et l’humour britanniques. »
Après un retour au Ballet de Flandre pour deux ans, Marie décide, à vingt-huit ans, de mettre un terme à sa carrière de danseuse. « Il est possible de continuer à danser jusqu’à quarante-ans mais je n’en avais plus l’envie », me dit-elle avant de briser les clichés qui entoure un milieu aussi compétitif que finalement peu connu du grand public. « Bien sûr, être danseuse nécessite une certaine hygiène de vie – comme pour tous les sportifs – mais ce n’est pas non plus aussi intransigeant que ce que l’on peut voir dans des films comme Black Swan. Il y a des impératifs – gérer la fatigue, son énergie – mais ce n’est pas un rythme de vie insupportable et la compétition, bien que présente, y est souvent bienveillante. »
Arrivée à une forme de saturation, celle qui est originaire d’Olne, décroche totalement ou presque de la danse et enchaîne les jobs, saisissant chaque opportunité qui se présente à elle, sans plan de carrière. « Je n’ai jamais cherché du travail, cela s’est toujours fait naturellement », me confie-t-elle. « Je suis une optimiste, je crois en l’avenir et que rien n’arrive par hasard même si, quand le chemin est parsemé d’embûches, je dois souvent me le répéter (rires). »
Après avoir notamment vendu du yaourt et des espaces publicitaires ainsi que travaillé dans un casino, Marie ouvre Ma Ferme en Ville. « J’ai grandi à la campagne et, enfant, j’ai toujours été habituée à aller au marché, à ramasser les légumes, à croquer une tomate chaude pour la goûter », continue-t-elle. « J’avais ce projet en moi depuis longtemps avec la volonté de mettre plein de beaux produits en valeur. » Fondée peu avant l’apparition du Covid, Ma Ferme en Ville n’en demeure pas moins un établissement original qui a rapidement su trouver son public pour faire indubitablement partie des fleurons de la ville et de la rue Souverain Pont.
« Je me suis réveillée un matin en voulant organiser un gala ! »

Mais avant de se lancer dans l’Horeca, celle qui partage la vie de Gaby Caridi, patron de Pinart le Bistrot et de Mio Posto, s’était replongée dans son domaine de prédilection. « Je me suis réveillée un matin, en vacances près de Cannes et je me suis dit que j’allais organiser un gala », se souvient avec malice celle qui s’occupait déjà de stages de danse. Le parcours du combattant pouvait commencer! « Les gens ne comprenaient pas vraiment ce que je souhaitais faire et je fus prise un peu à la légère par tout le monde. »
Grâce à son carnet d’adresse bien rempli, Marie parvient à convaincre des danseuses et danseurs talentueux de venir se produire à Liège pour la première édition des Hivernales de la Danse, il y a tout juste dix ans. « Je savais bien quelles pièces je voulais, vers quoi je voulais aller. C’était une pression de dingue et beaucoup de risques car les budgets sont énormes. Heureusement, le public fut au rendez-vous dès le départ », m’explique cette passionnée. « Et chaque année, cela reste un challenge aussi difficile qu’excitant de parvenir à organiser un tel gala. »
Abattant seule la majeure partie du boulot, Marie a toujours eu une idée assez précise de ce qu’elle voulait proposer. « Plusieurs styles doivent être représentés mais pas de la danse contemporaine expérimentaliste. Je ne suis pas fan des trucs bizarres », rigole celle qui appréciait tout particulièrement danser sur Le Lac des Cygnes et la Bayadère – « ils offrent beaucoup de possibilités pour le corps de ballet », justifie-t-elle – et admirer Giselle. « Je vois avec les artistes ce qu’ils ont de « stock » ou ce qu’ils peuvent créer de spécifique pour Les Hivernales afin qu’il n’y ait pas de tableaux trop similaires. »
Ayant décidé d’implanter son gala à Liège – « par sécurité car je connais la ville », précise-t-elle – au grand dam de certains de ses partenaires, Marie a réussi à créer un évènement unique en son genre en Belgique et qui draine un large panel d’amateurs. « Je suis très exigeante et je sais que le public liégeois est spécifique. Certaines choses qui peuvent plaire dans d’autres métropoles ne rencontreront pas forcément l’adhésion dans notre Cité ardente et inversement », assure celle qui, volontairement, n’annonce pas le programme des Hivernales mais uniquement les danseuses et danseurs bookés pour l’occasion. « Ainsi, les spectateurs s’installent, n’attendent rien de particulier et savourent davantage certaines découvertes. Ils viennent pour les Hivernales et pas pour une pièce en particulier. Cela génère certes peut-être un peu de frustration en amont et diminue un peu notre ticketing mais c’est une démarche personnelle que j’assume et qui permet au public de mieux profiter de la diversité qu’offre le spectacle. Cela a aussi un aspect « éducatif » qui fait sens. »
« Un fort engouement »

C’est vraiment à partir de la septième édition que Les Hivernales de la Danse ont trouvé leur rythme de croisière. « Il y eut un super élan et un fort engouement pour les places. Le gala s’est tenu à guichets fermés », se rappelle Marie qui a la chance de pouvoir compter sur une clientèle particulièrement fidèle. « L’évènement est attendu, l’ouverture de la billetterie est toujours un moment excitant et les places se vendent très bien les deux ou trois premières semaines. » Malheureusement, le Covid faisait alors son apparition, plongeant la société tout entière dans un confinement généralisé et obligeant l’ancienne danseuse à annuler à la dernière minute la huitième édition et, ensuite, à repousser à décembre la neuvième. « J’ai eu la grande chance que mes partenaires m’aient suivi. Sans ça, je mettais la clé sous la porte », reconnait-elle.
C’est donc seulement quelques mois après la neuvième édition que Les Hivernales de la Danse fêtèrent leur dixième anniversaire, les onze et treize mars derniers au Manège Fonck. Pour l’occasion, le casting fit à nouveau rêver avec cinq
« Etoiles » – l’élite des danseuses et danseurs – et des artistes venus d’Angleterre, de France, des Pays-Bas et d’Allemagne. Pour la première fois, un Prix – le Prix des Hivernales – fut décerné à des jeunes talents ayant remporté ce tout nouveau concours international. Petite particularité, ce furent les danseuses et danseurs des Hivernales qui composèrent le jury. « C’est la chance pour les participants d’être vus et jugés par la génération actuelle », souligne Marie. « Les élèves ont besoin d’avis pertinents, d’être évalués sur leurs performances pour ensuite être orientés du mieux possible vers le style et l’école qui pourraient le mieux leur convenir. »
Un beau tremplin pour ces talents en herbe qui pourront, avec les récompenses obtenues, partir notamment en stage d’insertion dans de prestigieuses compagnies. « La danse classique permet d’apprivoiser ensuite tous les autres styles pour ensuite évoluer selon ses envies, ses spécificités et ses aptitudes », me spécifie celle qui a eu la chance de beaucoup voyager durant sa carrière de danseuse. « Pour évoluer, il faut partir à l’étranger – en France, en Italie, aux Pays-Bas – car il n’y a pas vraiment de grandes écoles en Belgique même si celle du MOSA a vocation à devenir une école de haut-niveau. »
En attendant de rêver à une carrière sur les plus prestigieuses scènes du monde, les passionnées et passionnés de danse classique et contemporaine ont pu se donner rendez-vous à Liège pour cette dixième édition des Hivernales qui fut à nouveau un énorme succès.
Thiebaut Colot
Plus d’infos :
www.leshivernales.be
www.mafermeenville.be